L’adénocarcinome du pancréas (ADKP) est le cancer qui est associé à la plus haute incidence d’accidents thrombo-emboliques veineux. L’objectif de cette étude était de chercher des facteurs de risque spécifiques dans une population de patients avec ADKP, nouvellement diagnostiqués et de décrire l’évolution et les répercussions sur les survies sans récidive et globale.
Les données étaient issues de la base BACAP (Base Clinico-Biologique de l’Adénocarcinome Pancréatique), base nationale, multicentrique, prospective, observationnelle sur la période de mai 2014 à novembre 2018, intégrant les données de patients avec ADKP (de tout stade) nouvellement diagnostiqué.
731 patients étaient inclus. Sur une période médiane de suivi de 19,3 mois, 152 patients (20,79 %) développaient une thrombose veineuse (TV). Le délai médian entre le diagnostic de cancer et la survenue de la TV était de 4,49 mois. Les taux d’incidence cumulée étaient de 8,07 % ([CI], 6.31–10.29) à 3 mois et de 19,21 % (95 % CI, 16.27-22.62) à 12 mois. En analyse multi-variée, les facteurs de risque de TV étaient la localisation de la tumeur pancréatique (isthme versus tête [HR], 2.06 ; 95 % CI, 1.09–3.91 ; P = 0,027) et le stade (localement avancé versus résécable ou borderline HR, 1.66 ; 95 % CI, 1.10-2.51, P = 0.016 ; métastatique vs résécable ou borderline : HR, 2.50 ; 95 % CI, 1.64-3.79 ; P < 0.001).
Les patients avec TV pendant le suivi avaient une survie plus courte, survie sans récidive (HR, 1.74 ; 95 % CI, 1.19-2.54 ; P = .004) ou globale (HR, 2.02 ; 95 % CI, 1.57-2.60 ; P < 0.001).

L’adénocarcinome du pancréas (ADKP) est un des cancers les plus « thrombogènes » et de nombreuses séries rétrospectives dans la littérature ont montré des risque de thrombose veineuse (TV) variant de 15 à 20 % au cours de la prise en charge des patients.
La force de cette étude est le nombre important de patients inclus, son caractère prospectif et l’objectif relatif à la recherche de facteurs de risque de thrombose. Ainsi les auteurs ont pu analyser un nombre important de marqueurs portant sur les caractéristiques des patients, les données biologiques et radiologiques, ce qui est un véritable plus de cette étude. En analyse univariée, 13 variables étaient associées au risque de TV : le sexe, l’âge, la localisation de la tumeur, le stade, l’antécédent de thrombose, une thrombocytose, une cholestase, une cytolyse, une obésité, une chimiothérapie comme première ligne de traitement et l’usage de facteurs de croissance pour les lignées leucocytaire ou érythrocytaire.
En analyse multivariée, seuls la localisation et le stade étaient associés au risque avec une survie plus basse. On peut souligner que les patients avec TV avaient potentiellement des tumeurs plus agressives, plus étendues. Il serait intéressant d’explorer plus avant chez ses patients les facteurs pro-thrombotiques sériques.
Ce travail repose la question de l’intérêt d’une anticoagulation en prévention primaire chez ces patients. De prime abord, les cliniciens pourraient être réticents en raison du risque hémorragique et de la qualité de vie diminuée par des injections quotidiennes. Des essais cliniques ont déjà étaient menés pour répondre à cette question. Une méta-analyse résume les résultats : le taux brut de TV était de 2,1% dans le groupe de patients traités par héparine de bas poids moléculaire versus 11,2 % chez les témoins (risk ratio, 0.18 ; 95 % CI, 0.083-0.39 ; P < 0.0001). Dans une étude du NEJM, il a été étudié l’intérêt des nouveaux anticoagulants oraux (rivaroxaban-10 mg/j) chez des patients avec cancer. Dans le sous-groupe des ADKP, le critère composite (TV ou décès liés à la TV) était atteint chez 3,7 % du groupe rivaroxaban versus 10,1 % du groupe témoins.
Cette étude confirme ce que chaque clinicien pouvait supposer. Faut-il maintenant changer nos pratiques notamment pour les patients les plus à risque ?
Un grand bravo à l’équipe toulousaine, promoteur de cette cohorte nationale !