Ce travail londonien est parti du constat que nos critères habituels de guérison clinique (fermeture des orifices, disparition des douleurs et de suintements…), voire radiologique (disparition de l’hyperintensité en T2 et de la prise de contraste après injection de gadolinium en T1, absence de collection en IRM) des fistules anales de la maladie de Crohn ne sont pas forcément les critères « essentiels » du point de vue des patients. Ce constat peut paraître contre-intuitif pour des médecins mais il est pertinent.
En effet, bon nombre de patients semblent aller mieux sous l’effet des divers traitements qui leur sont administrés sans pour autant que les leur(s) fistule(s) ai(en)t guéri selon les critères des cliniciens et/ou des radiologues. Certains patients se sentent même mieux avec un séton en place dans leur fistule, car ils ne font plus d’abcès, alors que leur fistule n’est pourtant pas guérie du point de vue du médecin. A l’inverse, certains patients peuvent se sentir aggravés en raison de la survenue de troubles séquellaires après la réalisation d’un lambeau d’avancement alors que leur fistule est obturée et considérée comme guérie par le médecin. Les auteurs de cette étude se sont donc attachés à créer une échelle d’évaluation prenant en compte le concept anglo-saxon de « Patient Reported Outcome (PRO) » (« résultat rapporté par les patients » en français).
Le groupe de travail comportait un chirurgien expert des fistules anales, un gastroentérologue et des infirmières spécialisés dans les MICI, des chercheurs ayant l’expérience des PRO et des patients atteints de maladie de Crohn avec fistule anale. Une première liste de questions a été constituée sur la base de l’ensemble de critères d’évaluation de base (« Core Outcome Set (COS) » en anglais) de ces fistules élaboré de façon multidisciplinaire et consensuelle par Sahnan et al. (Gut 2019) et aussi d’entretiens avec des patients. Cette liste a ensuite été affinée à l’issue d’une série d'entrevues cognitives. Enfin, la liste été soumise à 211 patients atteints de maladie de Crohn avec fistule anale et les résultats analysés selon la méthodologie complexe d’évaluation inhérente à ce type d’étude. A l’issue de ces trois phases, les auteurs ont individualisé et validé une échelle d’évaluation, « the Crohn's Anal Fistula Quality of Life (CAF-QoL) scale », comportant 28 questions simples couvrant trois domaines : les symptômes liés à la fistule, ceux liés au traitement et ceux liés à la qualité de vie.
Cette étude, complexe dans sa réalisation mais solide dans son design, est passionnante car elle nous propose une échelle centrée sur les patients pour évaluer leur vécu de leurs fistules de maladie de Crohn.
Elle complète donc le « Perianal Disease Activity Index » (PDAI) qui est certes plus simple mais non spécifique des fistules. S’il est appliqué en recherche clinique, ce nouvel objectif de « treat to target » pourrait être utilisé en parallèle des critères cliniques et radiologiques déjà connus. Cette échelle pourrait ainsi nous permettre de comparer entre eux les divers traitements des fistules anales de la maladie de Crohn en étant au plus près de la « vraie vie » des patients. Elle devrait également nous aider à quantifier l’impact de ces fistules sur le vécu des patients et ainsi décider du traitement optimal à leur proposer.