Le "Reflux Laryngo-Pharyngé" (RLP) est un symptôme complexe pouvant inclure une toux chronique, un enrouement, une sensation de globus, un raclement de gorge, ou encore la sensation d’écoulement nasal postérieur. Ces symptômes ne sont pas nécessairement associés à un RGO même s’ils sont souvent considérés comme des manifestations extra-digestives de ce dernier. Pour cette pathologie qui concernerait jusqu’à 10 % des consultations ORL et de Gastroentérologie, il n’y a pas de gold standard diagnostique, et le traitement empirique par inhibiteurs de la pompe à protons n’est pas recommandé en l’absence de RGO pathologique.
Les auteurs ont voulu étudier les rôles respectifs de différents paramètres du RGO (importance du reflux, intégrité de la muqueuseœsophagienne…), de l’hypervigilance, et de l’anxiété spécifique liée aux symptômes (évaluées par l’Esophageal Hypervigilance and Anxiety Scale ou EHAS), faisant l’hypothèse que ces deux derniers facteurs avaient un rôle important dans les symptômes de RLP. Pour rappel, l’hypervigilance est la tendance à interpréter un signal normal provenant du tube digestif comme inconfortable du fait d’une hyperattention aux sensations corporelles. Ces deux processus cognitifs sont connus pour exacerber l’hypersensibilité viscérale et les mécanismes de douleurs d’origine centrale.
Dans cette étude, des patients consécutifs ayant un RLP et/ou des symptômes de RGO typique depuis au moins 3 mois, sans œsophagiteérosive en endoscopie, ont été inclus prospectivement. Leur score de symptômes et d’EHAS ont été analysés. Tous ont eu une fibroscopie gastrique, une manométrie œsophagienne haute résolution et une pH-impédancemétrie des 24h sans IPP. Parmi les 269 patients inclus (âge moyen 47,1 ans, 21–65 ans, 60,6 % femmes), 90 patients avaient à la fois des symptômes de RGO et de RLP, 32 avaient un RLP prédominant, 102 un RGO prédominant, et 45 patients ayant peu ou pas de symptômes de RGO/ RLP constituaient le groupe contrôle.
Les patients ayant à la fois un RGO et un RLP avaient un score EHAS plus élevé que ceux ayant un RGO prédominant et que les contrôles (P <0.001); les patients avec un RLP prédominant avaient un score EHAS plus élevé que les contrôles (P< 0.007). Le score EHAS était positivement corrélé au score de symptômes de RLP.
Les patients avec un score EHAS élevé avaient plus souvent des symptômes de RLP alors que les paramètres de reflux gastro-œsophagien, comme l’importance du reflux acide, l’intégrité de la muqueuseœsophagienne et/ou l’efficacité de la clairance œsophagienne, n’étaient pas différents. Ainsi l’hypervigilance œsophagienne et l’anxiété spécifique liée aux symptômes pourraient être des facteurs plus importants que le reflux gastro-œsophagien lui-même dans la perception des symptômes de RLP.

Chez les patients souffrant de symptômes ORL parfois invalidant comme une toux ou un enrouement, et adressés pour une suspicion de RGO, l’hypervigilance et surtout l’anxiété spécifique liée aux symptômes pourraient avoir un rôle physiopathologique plus important que le reflux gastro-œsophagien lui-même. En effet plus les patients présentent un état marqué d’hypervigilance et d’anxiété spécifique liée aux symptômes, plus ils sont à risque de présenter des symptômes ORL, et ceci indépendamment des paramètres liés au reflux gastro-œsophagien.
Ces patients rappellent le profil des patients ayant des pathologies fonctionnelles digestives, et sont d’ailleurs eux-aussi plus exposés au risque de dépression, d’anxiété et/ou de troubles du sommeil.
En conclusion, chez les patients ayant des symptômes ORL inexpliqués, la cible thérapeutique pourrait n’être pas tant le traitement du RGO mais la prise en charge de cette hypervigilance et de cette anxiété liée aux symptômes, prise en charge dont les modalités restent à être mieux définies.